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gime libéral qui vient d’être inauguré ; « il faudra avoir du talent pour être lu, » et ce n’est pas précisément jusqu’ici ce qui a gêné ceux qui se nomment les interprètes de la pensée publique ; ils seraient bien embarrassés de l’interpréter cette pensée, elle n’existe pas, et si elle existait, je doute qu’il la devinassent.

Mais descendons plus au fond dans le caractère même de notre nation, et voyons si ce caractère n’oppose pas lui-même le plus grand obstacle au régime de la liberté et de la vie politique.

Il n’est pas de peuple au monde qui pénètre moins vite le mérite et qui en soit plus jaloux que le peuple Français. On se moque des hommes légers, et on ne supporte pas les hommes sérieux ; un insipide hâbleur se fait écouter et l’homme de mérite modeste est dédaigné comme un homme nul, car il n’est pas de peuple non plus qui soit plus facilement dupe des apparences. Les Français rient de tout, a-t-on dit, ils rient partout aussi : ils rient dans les Églises, ils rient aux enterrements, ils rient aux exécutions, je sais qu’ils rient aussi sous le feu ! Dans les endroits les plus sérieux on bavarde, on jacasse comme au marché, on jacasse à l’audience pendant que l’avocat plaide ou que l’avoué prend les conclusions, on jacasse à la Chambre pendant que l’orateur parle, partout enfin on fait autre chose que ce qu’on est venu faire.

Mais je sais que ce sont là des traits bien légers, en voici d’autres : — Instinctivement on a horreur de la règle, chacun veut se faire une loi à soi, un privilège à soi, un droit à soi ; on parle d’égalité, et personne ne veut faire ce que fait le vulgaire, penser ce que pense le vulgaire ; — le vulgaire, cependant, nous oublions que c’est notre maître à tous ; car c’est le nombre qui fait la loi, c’est la majorité qui fait la force, et le suffrage universel en est issu. — Nous sommes amoureux des distinctions et nous ne pouvons pas supporter qu’elles exercent sur nous leur empire, on désire passionnément la richesse et