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Venons à la bourgeoisie : qu’est-ce donc aujourd’hui que cette puissance qui a envoyé à l’échafaud ses nobles et son roi ? Où est cette forte sève que promettait l’indomptable génération de 89 ; quel homme s’est élevé au pouvoir depuis 1815 qui n’ait montré à la fois toutes les faiblesses et toutes les impuissances ? Louis XVIII et Charles X tenaient la bourgeoisie à l’écart, ils n’avaient pas si tort, ma foi ! Louis-Philippe a pu voir ce qu’il fallait attendre des dictateurs de la banque et de la manufacture, comme on les appelait ; ils ont jeté leur roi par terre comme un homme de carton, ne s’apercevant pas qu’une fois la partie jouée, leur rôle était fini, et que le prolétariat se levant derrière eux les ferait disparaître pour jamais de la scène politique. Les lois les plus impopulaires, le gouvernement le plus étroit, le plus mesquin, les idées les plus faibles, les plus dures, voilà ce que l’on a toujours trouvé au sein des majorités qui gouvernaient alors le pays ; en vain formait-on coalition sur coalition pour escalader le pouvoir et y faire arriver les plus agissants. Pas un homme solide ne se présentait en scène ; on ne voyait que des pygmées se montant sur le dos les uns des autres, et dégringolant aux grands éclats de rire de la foule.


Voilà ce que fut la bourgeoisie, voilà ce qu’a duré son règne. Mais je sais qu’il est d’usage pour abriter sa faiblesse et son impopularité de la confondre avec le peuple, en disant qu’elle en est issue, qu’elle sort de ses flancs et que, qui s’attaque à elle, s’attaque au peuple lui-même. Allez donc demander à ce peuple s’il se confond avec elle. Demandez donc aux masses déplorablement égarées de 48, si elles se sentaient incarnées dans la bourgeoisie comme le Saint-Esprit dans la Trinité. Non, la bourgeoisie n’est pas le peuple ; le peuple avec ses grands instincts, sa haute moralité, n’entend pas qu’on le confonde avec la bourgeoisie ; il veut être lui et il est lui, ne fût-ce que par cette distinction profonde qu’il