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glissés jusqu’aux affaires en retournant leurs habits. Le favoritisme, la plaie des monarchies, reprenait sa place à tous les échelons des emplois, écartant les gens capables pour y mettre des hommes de paille.

Jetait-il enfin ses regards sur la situation extérieure de l’Europe, c’étaient bien d’autres dangers, bien d’autres complications encore. Son gouvernement venait de briser les fers d’une nation voisine et l’avait jetée dans les bras de la liberté. Personne n’ignore quelle était, au moment de la guerre d’Italie, la situation du cabinet des Tuileries. Cette situation était pressante, terrible ; l’opinion publique attendait ce moment pour juger le règne ; c’était un de ces cas dans lesquels un gouvernement est mis en demeure par les faits de signer sa déclaration de principes ; il fallait se prononcer entre le droit des nations et le droit des rois, entre le principe démocratique et le principe monarchique, entre le droit nouveau et le droit ancien ; Napoléon III ne pouvait hésiter. Élevé au trône par l’acclamation populaire, représentant de la Révolution de 89, dont sa race est issue, sa conduite était dictée à l’avance : il tira l’épée pour l’Italie, se souciant peu au fond d’avoir avec lui les rois, pourvu qu’il eût avec lui les peuples, bien certain que le courant populaire l’élèverait au-dessus du choc des couronnes ; il savait que sa couronne à lui s’affermirait sur sa tête, tandis que le sceptre échapperait aux mains de tous les autres souverains de l’Europe. Telle fut sans doute sa pensée ; sa diplomatie, non moins habile que sa politique, put amortir le coup ; mais les cabinets monarchiques de l’Europe ne s’y sont pas trompés, et tous, avec un rare à-propos, ils ont conjuré les périls de leur situation, non pas en marchant contre la France, non en essayant de former des coalitions, mais en cherchant un appui au milieu de leurs sujets. La Russie hâta l’émancipation des serfs, l’Autriche accorda des réformes libérales, la Prusse agit dans le même sens. C’était habilement joué cette fois, et les