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quentent les asiles d’hallucinés, et devant des extases artificiellement provoquées, prennent des notes, et retiennent l’écarquillement des yeux, le rictus de la face. Il en est d’autres qui voyagent, et qui rapportent de Terre Sainte, des croquis exécutés sous l’œil des guides aux endroits historiques.

Petite chose, cependant, que l’exactitude des costumes et des paysages. Il m’est permis d’emprunter un sujet à l’Évangile, qu’autant que ce sujet est en nous, est une part de nousmême. En notre âme se doivent trouver les costumes vrais et les paysages authentiques. Transformés en nous sans effort, les spectacles du monde extérieur reparaissent sous de mystérieux aspects. Au sortir d’un esprit tendre, ils ont revêtu quelque tendresse, et les moyens d’art seront efficaces qui feront communier les âmes à cette tendresse. Ce seront les moyens les plus simples : croyez qu’il n’est pas besoin, pour perpétuer vos émotions, de dissimuler la matière employée, et de la pervertir en des apparences de trompe-l’œil ; croyez que la matière de l’œuvre d’art a la faculté d’émettre d’aussi puissantes suggestions que les aspects de la nature elle-même ; il ne faut pas prétendre que les moyens d’expression de la nature et ceux de l’œuvre d’art se peuvent assimiler ; mais on peut toujours substituer ceux-ci à ceux-là : et c’est le travail du génie.

Comparez ce modèle costumé en Christ, cette femme en robe de Vierge, que tant de peintres reproduisent, — avec telle arabesque byzantine, onduleuse et souple pour signifier l’Amour et la Mère divine, rigide et heurtée pour symboliser le Sacrifice et le Christ en croix. N’est-ce pas l’œuvre d’art conçue en dehors de toute imitation contingente, qui est le plus expressive ?

Nous nous étonnons que des critiques renseignés, comme M. Georges Lecomte[1], se soient plu à confondre les tendances mystiques et allégoriques, c’est-à-dire la recherche de l’expression par le sujet, et les tendances symbolistes, c’est-à dire la recherche de l’expression par l’œuvre d’art. Il n’y a pas à en douter, toute la querelle aboutit à cette distinction

  1. Georges Lecomte : L’Art impressionniste. — Revue de l’évolution, 15 mars 1892.