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DE GAUGUIN ET DE VAN GOGH AU CLASSICISME

Sous prétexte de synthèse, nous nous sommes souvent contentés, avouons-le, de généralisations hâtives : en devenant schématique notre art est resté fragmentaire, incomplet. Nous avons fait beaucoup d’esquisses et trop peu de tableaux. Nous ne savons pas finir, soit ; mais même chez les anciens nous préférons l’ébauche à l’œuvre faite. Qui mettra un terme à cette perpétuelle surenchère où nous incite l’attrait du nouveau et le goût de l’inachevé ?

Barrès, Mithouard, Maurras nous conseillent de chercher une règle dans le passé de notre race. À la vérité je ne vois pas que nous puissions tirer de la tradition nationale autre chose que des généralités aussi vagues que celles dont nous sortons. L’art des cathédrales et l’art de Versailles, la suite ininterrompue de chefs-d’œuvre qui va de Poussin à Corot, nous révèle tout ce que la tradition française comporte de clarté, de mesure, d’atticisme : ce que nous appelons le goût français. Mais cette sagesse, cette haute culture, la loyauté de nos vieux artisans et des maîtres du xvir siècle, quelles méthodes nous rendront aptes à en perpétuer le prestige ?

Pour moi, séduit par la perfection de la statuaire grecque et de la peinture italienne, lorsque j’emploie le mot de tradition, j’y fais entrer toutes les forces du passé et tout ce que nos Musées contiennent d’heureuses formules et d’exemples vénérables ; mais c’est toujours à la tradition grécolatine que vont mes secrètes préférences. Là j’entrevois mes limites naturelles, la patrie de ma pensée.

Le rétrécissement qu’imposerait une telle conception à des esprits différents et aux possibles de l’art moderne, je l’aperçois et le réprouve : je ne veux pas d’une poétique qui renouvellerait l’insupportable académisme où ont sombré la plupart des écoles du XIXe siècle. J’ai peur du goût classique. Notre art a-t-il assez de substance ? Nos esprits fatigués ne vont ils pas lui imposer seulement le masque d’une perfection qu’il ne comporte pas : superposer à une matière neuve des formes abolies ? Le rôle actuel du goût classique est analogue à celui du goût italien au début du Grand Siècle : ce qui a vieilli chez Poussin, l’artificiel de ses clair-obscur, le théâtral de ses gestes, sont ce qu’il tenait du