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le renoncement de carrière

d’ombre et de lumière, un jeu de contrastes qu’on ne trouve pas dans ses toiles monochromes. Il n’a ni atmosphère, ni profondeur, et je ne lui en fais pas reproche puisqu’il s’exprime si complètement ainsi et qu’il lui suffit pour nous toucher de ces modelés vaporeux et glissants, destinés seulement, semble-t-il, à accompagner, à soutenir le dessin grandiloquent des formes. Il est l’égal des plus grands maîtres par l’entente des volumes, qu’il traite comme un sculpteur de bas-reliefs ; par la compréhension du geste, par la puissance du dessin ; et la force de l’émotion fait de lui l’égal des plus grands poètes.

On s’étonnera aussi, j’espère, dans l’avenir, qu’un artiste aussi fidèle à l’enseignement des Musées, ait pu passer pour un professeur d’indiscipline. Nul n’a mieux profité de la technique souple des Maîtres de la peinture à l’huile. Il ne doit rien aux modernes, à Corot, à Manet, aux Impressionnistes : on ne retrouve chez lui ni les tâtonnements, ni les gaucheries des chercheurs de méthodes nouvelles ; et ses négligences ne sont pas comme chez la plupart d’entre nous

    de teinte ou de couleur. C’est selon qu’on considère les objets comme plus ou moins blancs ou noirs, clairs ou foncés ; ou qu’au contraire on n’en retient que la couleur au sens du prisme, bleu, rouge, jaune, etc., et qu’ainsi on les envisage comme plus ou moins gris ou éclatants. Dans la nature et dans les tableaux de presque tous les peintres, sauf peut-être Eugène Carrière, valeurs de tons et valeurs de teintes se confondent, constituent un seul et même terme du rapport ; on ne les sépare qu’artificiellement : quand on cligne les yeux devant la nature, c’est afin de forcer les contrastes de noir et de blanc, en faisant abstraction de la couleur. On décolore artificiellement les aspects des choses afin d’en mieux sérier les luminosités relatives.

    Les coloristes et spécialement les impressionnistes, avisés et délicats, ne séparent, point ce que Dieu a uni, Ils s’aperçoivent que tout est coloré, même le blanc, même le noir. Point de gamme de tons qui ne soient en même temps pour eux une gamme de teintes, une hiérarchie de couleurs dégradées. Pour eux ce qui est lumière est couleur ; et si leur palette est si vive et variée c’est qu’ils dosent tout ensemble les contrastes des tons et la variété concertante des teintes ; c’est qu’ils notent toutes les phrases, toutes les péripéties, tous les chatoiements de la lutte de l’arc-en-ciel et des ténèbres.

    Or, faites attention que Mme Delvolvé ajoute un coloris frêle et délicat au système de valeurs limité du noir au blanc qu’affectionne son maître Carrière. Mais ce coloris elle ne fait que le superposer à l’établissement des fonds. La pâleur d’une orchidée sa teinte d’un peu de mauve qu’aucune coloration voisine n’exalte ni n’explique. Ainsi elle ne donne pas une sensation de couleur, et les rapports qu’elle institue ne relèvent que d’une définition incomplète des valeurs, celle qui se limite au jeu des luminosités, abstraction faite des teintes.

    Aussi bien le charme que l’artiste en a su tirer est trop réel pour qu’on se plaigne de cet illogisme, d’ailleurs bien féminin, dont elle tempère avec tant de grâce l’austère système de sacrifices qu’elle tient de renseignement paternel.