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les élèves d’ingres

Je ne parle ici qu’en ma qualité de chien ! » J’ai éprouvé la même sensation que le spirituel Berganza devant presque tous les portraits de femmes anciens ou présents de MM. Flandrin, Lehmann et Amaury-Duval, malgré les belles mains, réellement bien peintes, qu’ils savent leur faire et la galanterie de certains détails. Dulcinée de Toboso elle-même, en passant par l’atelier de ces messieurs, en sortirait diaphane et bégueule comme une élégie et amaigrie par le thé et le beurre esthétiques.

« Ce n’est pourtant pas ainsi, il faut le répéter sans cesse, que M. Ingres comprend les choses, le grand maître[1] ! »

Non, M. Ingres ne comprenait pas les choses comme ses élèves ont fait depuis : c’est ce qui motive cette étude. Du moins, son réalisme hautain, sa forte conscience, son grand goût pour la Beauté devinrent, pour ses élèves, les bases d’un idéalisme souvent robuste.. quoi qu’en dise Baudelaire, et sans mièvrerie. Et le dessin qu’il leur avait presque exclusivement enseigné leur fut un merveilleux moyen d’épurer leur rêve, de le généraliser, de le définir en clarté.

IV

quelques figures
Hippolyte FLANDRIN


le plus célèbre des élèves d’Ingres, n’est pas le plus séduisant, ni le plus original. Il était tout désigné par la piété de sa vie, par la sévérité de son talent, pour décorer les murs d’églises. Ses lettres, que M. Delaborde a publiée, donnent une juste idée de son âme noble et candide et de la docilité laborieuse avec laquelle il suivit, toute sa vie, M. Ingres. Lyonnais comme Orsel, Chenavard et Janmot, il exprima plutôt l’austérité que la tendresse du catholicisme. Il y a de la grandeur dans ses symétries prévues, dans les attitudes figées,

  1. Baudelaire. Salon de 1846, Curiosités esthétiques.