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LE TRÉSOR


C’était le dur soir des étés secs où, dans le ciel uniformément rouge et poudreux, règne un soleil qui semble à jamais immobile. Toute l’équipe fatiguée attendait qu’il disparût derrière les frênes de la vallée. De la carrière, une colonne de poussière montait ; le cheval morne dormait debout, jusqu’au coup de fouet du réveil. Maître Tavernier, le propriétaire, remplaçait un ouvrier absent, et, de la manche, s’essuyait le front, tout trempé d’une sueur abondante de gros homme et de buveur :

Tout à coup, sa pioche rendit un son métallique. Une sorte de coffre rouillé apparut ; le couvercle disjoint laissa voir, dans un bâillement, un nid de monnaies verdâtres, où Tavernier crut distinguer un reflet jaune.

— Un trésor, pensa-t-il.

Le rêve des carriers se réalisait là, à ses pieds, à portée de sa main, qui en tremblait. Justement, il se trouvait embarrassé, la main-d’œuvre était chère ; la maison Tavernier ne paraissait pas des plus solides, et comme le client, de plus en plus, aime à s’adresser aux gros établissements, les affaires devenaient rares et difficiles.

Le premier geste de Tavernier fut de jeter un coup d’œil oblique autour de lui… Rien heureusement ne montrait que sa trouvaille eût été remarquée ; les pics retentissaient sur la pierre sonore comme une cloche, la poussière desséchante régnait et, sur la paroi éblouissante, des insectes humains s’accrochaient… Cependant Gravot, le contremaître, roulait vers lui sa brouette ; Tavernier l’aperçut de l’autre côté d’un buisson d’églantiers. À la hâte, il recouvrit la précieuse couvée, puis se dirigea vers son employé qui s’était arrêté, et pesamment jetait des pierres dans sa brouette. Il lui sembla que l’homme le regardait d’un air singulier…

Mais Tavernier avait les décisions promptes et bruyantes des manieurs d’hommes :

— Allons ! ce n’est pas tenable. Il fait trop chaud. On quitte le travail. Je ne veux pas qu’il arrive des accidents. Je paye une tournée.

Gravot toisa de nouveau le patron, puis, sans répondre, il siffla la cessation du travail. Surpris, les hommes levèrent les yeux vers la lèvre de la plaie que faisait la carrière au flanc du coteau. Tavernier répéta le signal.

— On quitte. Tout de suite. Rendez-vous chez la mère Magne.

Bien que l’ordre fut insolite, surtout de la part de Tavernier, les carriers rangèrent leurs outils, remirent leur gilet, et, traînant les pieds dans la poussière blanche, ils sortirent du chantier.

— Allons, Gravot, tu viens, dit le maître.

— Je finis ma brouettée… Je vous retrouverai.

— Bon sang de bon sang ! pensa Tavernier. Est-ce qu’il m’aurait vu ?

— Non, tout de suite, reprit le patron. Tu te ferais mal voir des autres. Quand je dis une chose, c’est une chose.

L’homme ne répondit pas, et quitta les lieux. Quand il fut parti, Tavernier s’assura que rien n’apparaissait de son trésor, puis il fit, des yeux, le tour de la carrière d’où montait une chaude haleine de four.

Les six hommes l’attendaient en bas. Il expliqua :

— J’ai fait une pas mauvaise affaire, ce midi, avec un entrepreneur de Troyes. Alors, faut que tous ils en profitent.

Et il frappa du poing pour appeler la mère Magne :

— On n’est-il pas des camarades ? reprit-il.

Il se sentait prêt aux fraternelles effusions. Au fond c’étaient de bons gars ces carriers ! La cordialité régnait. On entendait le petit bruit de cailloux roulés que fait le vin blanc quand il descend dans des gosiers desséchés. Sans doute, il fallait que l’affaire fût bonne : On n’avait jamais vu Tavernier aussi généreux. Mais le vin blanc chasse toute envie de réfléchir, le moment présent est bon, il faut jouir de l’aubaine. C’est la vie : une roche vous blesse un doigt, un copain paye un verre : tout s’arrange.

Quand il fut bien certain que ses hommes allaient raconter des histoires ou faire une manille jusqu’à la raide nuit, Tavernier paya la consommation et les laissa attablés.

La nuit descendait sur le hameau. Le long des haies, par les derrières des maisons, maître Tavernier s’en alla, en hâtant le pas. Comme il arrivait au coteau, il entendit gratter. Haletant, il écouta… Pas de doute : quelqu’un travaillait là-haut. Il se précipita.

Sur le trou, un homme à genoux, arrachait du sol le coffre précieux.

— Qu’est-ce que vous faites-là ? cria Tavernier, la voix étranglée.

L’homme surpris, s’était redressé, plaçant le trésor derrière lui.

— Gravot ! C’est toi ? Veux-tu me f… le camp d’ici !

— Quoi ? Ce qui est dans la terre, c’est à celui qui le trouve, je croirais. C’est-y moi qui ai déterré ça, oui ou non ? Fallait être le premier, ricana-t-il.

Tavernier ne répondit pas : gonflé de ses bonnes raisons, de son droit de propriétaire, outré de colère, il n’aurait pu parler, la fureur le faisait trembler.

— Ôte-toi de là ! ôte-toi de là, dit-il, ou je fais un malheur !

Gravot le repoussa brusquement.

Alors, comme un sanglier, le gros homme se jeta sur son contremaître qui ne put résister au choc et bascula. Mais Tavernier, emporté par son élan, tomba sur lui. Les deux hommes s’étreignirent en roulant sur le sol. Des pierrailles se détachèrent de la pente, sautèrent par saccades jusqu’au fond de la carrière, où « floc », elles firent, dans le fond, un sourd écho.

Enlacés, dans un monstrueux accouplement, avec des ahanements et des souffles rauques, ils se sentirent tout à coup dévaler la pente.

Au-dessous d’eux c’était l’abîme. Trente pieds, la roche nue…

— Si j’y vas, t’y vas, dit Gravot… Le magot ça sera pour les autres ! Tavernier raidit ses muscles dans un effort suprême, pour se dégager : c’était impossible. Leur sort était lié ; la lutte, fatalement, les entraînait à la mort… Tout mouvement les en rapprochait.

La tête écrasée sur le sol, crachant des gravats, le carrier râla ces mots :

— Partageons… Ça se fait toujours chez les car-