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vie l’on auroit peine à les distinguer des autres enfans. Quand donc dans une famille blanche il naîtroit un enfant negre, il demeureroit quelque temps incertain qu’il le fût : on ne penseroit point d’abord à le cacher, et l’on ne pourroit dérober, du moins les premiers mois de son existence, à la notoriété publique, ni cacher ensuite ce qu’il seroit devenu, sur-tout si l’enfant appartenoit à des parens considérables. Mais le Negre qui naîtrait parmi le peuple, lorsqu’il auroit une fois pris toute sa noirceur, ses parens ne pourraient ni ne voudraient le cacher ; ce seroit un prodige que la curiosîté du Public leur rendroit utile : et la plupart des gens du peuple aimeroient autant leur fils noir que blanc.

Or si ces prodiges arrivoient quelquefois, la probabilité qu’ils arriveroient plutôt parmi les enfans du peuple que parmi les enfans des grands, est immense : et dans le rapport de la multitude du peuple, pour un enfant noir d’un grand Seigneur, il faudroit qu’il naquît mille enfans noirs parmi le peuple. Et comment ces faits pourroient-ils être ignorés ? comment pourroient-ils être douteux ?

S’il naît des enfans blancs parmi les peuples noirs, si ces phénomenes ne sont pas même fort rares parmi les peuples peu nombreux de l’Afrique et de l’Amérique, combien plus souvent ne devroit-il pas naître des Noirs parmi les peuples innombrables de l’Europe, si la Nature amenoit aussi facilement l’un et l’autre de ces hasards ? Et si nous avons la connoissance de ces phénomenes lorsqu’ils arrivent dans des pays si éloignés, comment se pourroit-il faire qu’on en ignorât de semblables s’ils arrivoient parmi nous ?

Il me paroît donc démontré que s’il naît des Noirs de parens blancs, ces naissances sont incomparablement plus rares que les naissances d’enfans blancs de parens noirs.

Cela suffiroit peut-être pour faire penser que le blanc est la couleur des premiers hommes, et que ce n’est que par quelque accident que le noir est devenu une couleur héréditaire aux grandes familles qui peuplent la zone torride ; parmi lesquelles cependant la couleur primitive n’est pas si parfaitement effacée qu’elle ne reparoisse quelquefois.