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pour ces défauts, n’a pas voulu qu’ils se perpétuassent ; chaque pere, chaque mere fait de son mieux pour les éteindre ; les beautés sont plus surement héréditaires ; la taille et la jambe, que nous admirons, sont l’ouvrage de plusieurs générations, où l’on s’est appliqué à les former.

Un Roi du Nord[1] est parvenu à élever et embellir sa nation. Il avoit un goût excessif pour les hommes de haute taille et de belle figure : il les attiroit de toutes parts dans son royaume ; la fortune rendoit heureux tous ceux que la Nature avoit formés grands. On voit aujourd’hui un exemple singulier de la puissance des Rois : cette nation se distingue par les tailles les plus avantageuses, et par les figures les plus régulieres. C’est ainsi qu’on voit s’élever une forêt au-dessus de tous les bois qui l’environnent, si l’œil attentif du maître s’applique à y cultiver des arbres droits et bien choisis. Le chêne et l’orme, parés des feuillages les plus verds, poussent leurs branches jusqu’au Ciel : l’aigle seule en peut atteindre la cime. Le successeur de ce Roi embellit aujourd’hui la forêt par les lauriers, les myrtes et les fleurs.

Les Chinois se sont avisés de croire qu’une des plus grandes beautés des femmes seroit d’avoir des pieds sur lesquels elles ne pussent pas se soutenir. Cette nation, si attachée à suivre en tout les opinions et le goût de ses ancêtres, est parvenue à avoir des femmes avec des pieds ridicules. J’ai vu des mules de Chinoises où nos femmes n’auroient pu faire entrer qu’un doigt de leur pied. Cette beauté n’est pas nouvelle : Pline d’après Eudoxe parle d’une nation des Indes dont les femmes avoient le pied si petit, qu’on les appelloit pieds-d’autruches.[2] Il est vrai qu’il ajoute que les hommes avoient le pied long d’une coudée : mais il est à croire que la petitesse du pied des femmes a porté à l’exagération sur la grandeur de celui des hommes. Cette nation n’étoit-elle point celle des Chinois, peu connue alors ? Au reste on ne doit pas attribuer à la Nature seule la petitesse du pied des Chinoises ; pendant les premiers temps de leur enfance on tient leurs pieds serrés, pour

  1. Frédéric-Guillaume, Roi de Prusse.
  2. C. Plin. Natur. Hist. lib. 7. cap. 2.