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vrent que dans l’obscurité de la nuit ; ils sont dans le genre des hommes ce que sont parmi les oiseaux les chauve-souris et les hiboux. Quand l’astre du jour a disparu, et laissé la Nature dans le deuil et dans le silence ; quand tous les autres habitans de la Terre accablés de leurs travaux, ou fatigués de leurs plaisirs, se livrent au sommeil ; le Darien s’éveille, loue ses Dieux, se réjouit de l’absence d’une lumiere insupportable, et vient remplir le voide de la Nature. Il écoute les cris de la chouette avec autant de plaisir que le berger de nos contrées entend le chant de l’alouette, lorsqu’à la premiere aube, hors de la vue de l’épervier, elle semble aller chercher dans la nue le jour qui n’est pas encore sur la Terre : elle marque par le battement de ses ailes la cadence de ses ramages : elle s’éleve et se perd dans les airs : on ne la voit plus qu’on l’entend encore : ses sons, qui n’ont plus rien de distinct, inspirent la tendresse et la rêverie : ce moment réunit la tranquillité de la nuit avec les plaisirs du jour. Le Soleil paroît ; il vient rapporter sur la Terre le mouvement et la vie, marquer les heures, et destiner les différens travaux des hommes. Les Dariens n’ont pas attendu ce moment ; ils sont déjà tous retirés. Peut-être en trouve-t-on encore à table quelques-uns qui, après avoir farci leur ventre de ragoûts, épuisent leur esprit en traits et en pointes. Mais le seul homme raisonnable qui veille, est celui qui attend midi pour un rendez-vous : c’est à cette heure, c’est à la faveur de la plus vive lumiere qu’il doit tromper la vigilance d’une mere, et s’introduire chez sa timide amante.

Le phénomene le plus remarquable, et la loi la plus confiante sur la couleur des habitans de la Terre, c’est que toute cette large bande qui ceint le globe d’orient en occident, qu’on appelle la zone torride, n’est habitée que par des peuples noirs, ou fort basanés. Malgré les interruptions que la mer y cause, qu’on la suive à travers l’Afrique, l’Asie et l’Amérique, soit dans les isles, soit dans les continens, on n’y trouve que des nations noires : car ces hommes nocturnes dont nous venons de parler, et quelques Blancs qui naissent quelquefois, ne méritent pas qu’on fasse ici d’exception.

En s’éloignant de l’équateur, la couleur des peuples s’éclaircit par nuances. Elle est encore fort brune au-delà du tropique ; et