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Qu’une femme troublée par quelque passion violente, qui se trouve dans un grand péril, qui a été épouvantée par un animal affreux, accouche d’un enfant contrefait ; il n’y a rien que de très-facile à comprendre. Il y a certainement entre le fœtus et sa mere une communication assez intime pour qu’une violente agitation dans les esprits ou dans le sang de la mere se transmette dans le fœtus, et y cause des désordres auxquels les parties de la mere pouvoient résister, mais auxquels les parties trop délicates du fœtus succombent. Tous les jours nous voyons ou éprouvons de ces mouvemens involontaires qui se communiquent de bien plus loin que de la mere à l’enfant qu’elle porte. Qu’un homme qui marche devant moi fasse un faux pas ; mon corps prend naturellement l’attitude que devroit prendre cet homme pour s’empêcher de tomber. Nous ne saurions guere voir souffrir les autres sans ressentir une partie de leurs douleurs, sans éprouver des révolutions quelquefois plus violentes que n’éprouve celui sur lequel le fer et le feu agissent. C’est un lien par lequel la Nature a attaché les hommes les uns aux autres. Elle ne les rend d’ordinaire compatissans, qu’en leur faisant sentir les mêmes maux. Le plaisîr et la douleur sont les deux maîtres du Monde. Sans l’un, peu de gens s’embarrasseroient de perpétuer l’espece des hommes : si l’on ne craignoit l’autre, plusieurs ne voudroient pas vivre.

Si donc ce fait tant rapporté est vrai, qu’une femme soit accouchée d’un enfant dont les membres étoient rompus aux mêmes endroits où elle les avoit vu rompre à un criminel ; il n’y a rien, ce me semble, qui doive beaucoup surprendre, non plus que dans tous les autres faits de cette espece. Mais il ne faut pas confondre ces faits avec ceux où l’on prétend que l’imagination de la mere imprime au fœtus la figure de l’objet qui l’a épouvantée, ou du fruit qu’elle a desiré de manger. La frayeur peut causer de grands désordres dans les parties molles du fœtus : mais elle ne ressemble point à l’objet qui l’a cauiée. Je croirois plutôt que la peur qu’une femme a d’un tigre fera périr entierement son enfant, ou le fera naître avec les plus grandes disformités, qu’on ne me fera croire que l’enfant puisse naître