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dans l’obscurité de la nuit, s’ils n’étoient conduits par le petit flambeau qu’elles portent.[1]

Parlerai-je d’animaux dont la figure inspire le mépris et l’horreur ? Oui : la Nature n’en a traité aucun en marâtre. Le crapaud tient sa femelle embrassée pendant des mois entiers.

Pendant que plusieurs animaux sont si empressés dans leurs amours, le timide poisson en use avec une retenue extrême : sans oser rien entreprendre sur sa femelle, ni se permettre le moindre attouchement, il se morfond à la suivre dans les eaux ; et se trouve trop heureux d’y féconder ses œufs, après qu’elle les y a jetés.

Ces animaux travaillent-ils à la génération d’une maniere si désintéressée ? ou la délicatesse de leurs sentimens supplée-t-elle à ce qui paroît leur manquer ? Oui, sans doute ; un regard peut être une jouissance ; tout peut faire le bonheur de celui qui aime. La Nature a le même intérêt à perpétuer toutes les especes : elle aura inspiré à chacune le même motif ; et ce motif, dans toutes, est le plaisir. C’est lui qui, dans l’espece humaine, fait tout disparoître devant lui ; qui, malgré mille obstacles qui s’opposent à l’union de deux cœurs, mille tourmens qui doivent la suivre, conduit les amans au but que la Nature s’est proposé.[2]

Si les poissons semblent mettre tant de délicatesse dans leur amour, d’autres animaux poussent le leur jusqu’à la débauche la plus effrénée. La Reine abeille a un sérail d’amans, et les satissait tous. Elle cache en vain la vie qu’elle mene dans l’intérieur de ses murailles ; en vain elle en avoit imposé même au savant Swarmerdam : un illustre Observateur[3] s’est convaincu par ses yeux de ses prostitutions. Sa fécondité est proportionnée à son intempérance ; elle devient mere de 30 et 40 mille enfans.

Mais la multitude de ce peuple n’est pas ce qu’il y a de plus merveilleux ; c’est de n’être point restreint à deux sexes, comme

  1. Hist. de l’Acad. des Scienc. an. 1723.
  2.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  Ita capta lepore,
        Illecebrisque tuis omnis natura animantum,
        Te sequitur cupidè, quo quamque inducere pergis.
                                                                   Lucret. lib. I.
  3. Hist. des insect. de M. de Reaumur, t. V. p. 504.