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d’appareil et de dépense ? De cette multitude prodigieuse de petits animaux qui nagent dans la liqueur séminale un seul parvient à l’humanité : rarement la femme la mieux enceinte met deux enfans au jour, presque jamais trois. Et quoique les femelles des autres animaux en portent un plus grand nombre, ce nombre n’est presque rien en comparaison de la multitude des animaux qui nageoient dans la liqueur que le mâle a répandue. Quelle destruction, quelle inutilité paroît ici !

Sans discuter lequel fait le plus d’honneur à la Nature, d’une économie précise, ou d’une profusion superflue ; question qui demanderoit qu’on connût mieux ses vues, ou plutôt les vues de celui qui la gouverne ; nous avons sous nos yeux des exemples d’une pareille conduite, dans la production des arbres et des plantes. Combien de milliers de glands tombent d’un chêne, se déssechent ou pourrissent, pour un très-petit nombre qui germera, et produira un arbre ! Mais ne voit-on pas par-là même que ce grand nombre de glands n’étoit pas inutile, puisque si celui qui a germé n’y eût pas été, il n’y auroit eu aucune production nouvelle, aucune génération ?

C’est sur cette multitude d’animaux superflus qu’un Physicien chaste et religieux[1] a fait un grand nombre d’expériences, dont aucune, à ce qu’il nous assure, n’a jamais été faite aux dépens de sa postérité. Ces animaux ont une queue, et sont d’une figure assez semblable à celle qu’a la grenouille en naissant, lorsqu’elle est encore sous la forme de ce petit poisson noir appellé tétard, dont les eaux fourmillent au printemps. On les voit d’abord dans un grand mouvement : mais il se rallentit bientôt ; et la liqueur dans laquelle ils nagent se refroidissant, ou s’évaporant, ils périssent. Il en périt bien d’autres dans les lieux mêmes où ils sont déposés : ils se perdent dans ces labyrinthes. Mais celui qui est destiné à devenir un homme, quelle route prend-il ? comment se métamorphose-t-il en fœtus ?

Quelques lieux imperceptibles de la membrane intérieure de la matrice seront les seuls propres à recevoir le petit animal, et à lui procurer les sucs nécessaires pour son accroissement. Ces lieux, dans la matrice de la femme, seront plus rares que dans les matrices

  1. Lewenhoek.