Page:Maupassant Bel-ami.djvu/91

Cette page a été validée par deux contributeurs.

nique n’y était pas ; et il demeurait debout sur le trottoir, parcourant anxieusement de l’œil les colonnes imprimées avec l’espoir d’y trouver enfin ce qu’il cherchait.

Quelque chose de pesant tout à coup accablait son cœur, car, après la fatigue d’une nuit d’amour, cette contrariété tombant sur sa lassitude avait le poids d’un désastre.

Il remonta chez lui et s’endormit tout habillé sur son lit.

En entrant quelques heures plus tard dans les bureaux de la rédaction, il se présenta devant M. Walter : — J’ai été tout surpris ce matin, monsieur, de ne pas trouver mon second article sur l’Algérie.

Le directeur leva la tête, et d’une voix sèche : — Je l’ai donné à votre ami Forestier, en le priant de le lire ; il ne l’a pas trouvé suffisant ; il faudra me le refaire.

Duroy, furieux, sortit sans répondre un mot, et, pénétrant brusquement dans le cabinet de son camarade : — Pourquoi n’as-tu pas fait paraître, ce matin, ma chronique ?

Le journaliste fumait une cigarette, le dos au fond de son fauteuil et les pieds sur sa table, salissant de ses talons un article commencé. Il articula tranquillement avec un son de voix ennuyé et lointain, comme s’il parlait du fond d’un trou : — Le patron l’a trouvé mauvais, et m’a chargé de te le remettre pour le recommencer. Tiens, le voilà. — Et il indiquait du doigt les feuilles dépliées sous un presse-papier.

Duroy, confondu, ne trouva rien à dire, et, comme il mettait sa prose dans sa poche, Forestier reprit : — Aujourd’hui tu vas te rendre d’abord à la préfecture…

Et il indiqua une série de courses d’affaires, de nouvelles à recueillir. Duroy s’en alla, sans avoir pu découvrir le mot mordant qu’il cherchait.