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— Avez-vous passé à la caisse ?

— Non. Pourquoi ?

— Pourquoi ? Pour vous faire payer. Voyez-vous, il faut toujours prendre un mois d’avance. On ne sait pas ce qui peut arriver.

— Mais… je ne demande pas mieux.

— Je vais vous présenter au caissier. Il ne fera point de difficultés. On paie bien ici.

Et Duroy alla toucher ses deux cents francs, plus vingt-huit francs pour son article de la veille, qui, joints à ce qui lui restait de son traitement du chemin de fer, lui faisaient trois cent quarante francs en poche.

Jamais il n’avait tenu pareille somme, et il se crut riche pour des temps indéfinis.

Puis Saint-Potin l’emmena bavarder dans les bureaux de quatre ou cinq feuilles rivales, espérant que les nouvelles qu’on l’avait chargé de recueillir avaient été prises déjà par d’autres, et qu’il saurait bien les leur souffler, grâce à l’abondance et à l’astuce de sa conversation.

Le soir venu, Duroy, qui n’avait plus rien à faire, songea à retourner aux Folies-Bergère, et, payant d’audace, il se présenta au contrôle :

— Je m’appelle Georges Duroy, rédacteur à la Vie Française. Je suis venu l’autre jour avec M. Forestier, qui m’avait promis de demander mes entrées. Je ne sais s’il y a songé.

On consulta un registre. Son nom ne s’y trouvait pas inscrit. Cependant le contrôleur, homme très affable, lui dit :

— Entrez toujours, monsieur, et adressez vous-même votre demande à M. le directeur, qui y fera droit assurément.

Il entra, et presque aussitôt, il rencontra Rachel, la femme emmenée le premier soir.