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fort, et avec un ton gouailleur et convaincu, il prononça : — Pourquoi ? Parce que nous pouvions obtenir là-dessus une réduction de quatre à cinq mille francs.

« Montelin, étonné, reprit : — Mais, monsieur le directeur, tous les comptes étaient réguliers, vérifiés par moi et approuvés par vous…

« Alors le patron, redevenu sérieux, déclara : — On n’est pas naïf comme vous. Sachez, monsieur Montelin, qu’il faut toujours accumuler ses dettes pour transiger. »

Et Saint-Potin ajouta avec un hochement de tête de connaisseur : — Hein ? Est-il à la Balzac, celui-là ?

Duroy n’avait pas lu Balzac, mais il répondit avec conviction : — Bigre oui.

Puis le reporter parla de Mme  Walter, une grande dinde, de Norbert de Varenne, un vieux raté, de Rival, une ressucée de Fervacques. Puis il en vint à Forestier :

— Quant à celui-là, il a de la chance d’avoir épousé sa femme, voilà tout.

Duroy demanda : — Qu’est-ce au juste que sa femme ?

Saint-Potin se frotta les mains : — Oh ! une rouée, une fine mouche. C’est la maîtresse d’un vieux viveur nommé Vaudrec, le comte de Vaudrec, qui l’a dotée et mariée…

Duroy sentit brusquement une sensation de froid, une sorte de crispation nerveuse, un besoin d’injurier et de gifler ce bavard. Mais il l’interrompit simplement pour lui demander : — C’est votre nom, Saint-Potin ?

L’autre répondit avec simplicité :

— Non, je m’appelle Thomas. C’est au journal qu’on m’a surnommé Saint-Potin.

Et Duroy, payant les consommations, reprit : — Mais il me semble qu’il est tard et que nous avons deux nobles seigneurs à visiter.