Page:Maupassant Bel-ami.djvu/79

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Duroy, qui se tenait debout au milieu du bureau, préparant son effet, répondit d’une voix forte :

— Je m’en fiche un peu, par exemple !

Il y eut parmi les employés un mouvement de stupéfaction, et la tête de M. Potel apparut, effarée, au-dessus du paravent qui l’enfermait comme une boîte.

Il se barricadait là-dedans, par crainte des courants d’air, car il était rhumatisant. Il avait seulement percé deux trous dans le papier pour surveiller son personnel.

On entendait voler les mouches. Le sous-chef, enfin, demanda avec hésitation : — Vous avez dit ?

— J’ai dit que je m’en fichais un peu. Je ne viens aujourd’hui que pour donner ma démission. Je suis entré comme rédacteur à la Vie Française avec cinq cents francs par mois, plus les lignes. J’y ai même débuté ce matin.

Il s’était pourtant promis de faire durer le plaisir, mais il n’avait pu résister à l’envie de tout lâcher d’un seul coup.

L’effet, du reste, était complet. Personne ne bougeait.

Alors Duroy déclara : — Je vais prévenir M. Perthuis, puis je viendrai vous faire mes adieux. — Et il sortit pour aller trouver le chef, qui s’écria en l’apercevant :

— Ah ! vous voilà. Vous savez que je ne veux pas…

L’employé lui coupa la parole :

— Ce n’est pas la peine de gueuler comme ça…

M. Perthuis, un gros homme rouge comme une crête de coq, demeura suffoqué par la surprise.

Duroy reprit : — J’en ai assez de votre boutique. J’ai débuté ce matin dans le journalisme, où on me fait une très belle position. J’ai bien l’honneur de vous saluer.

Et il sortit. Il était vengé.

Il alla en effet serrer la main de ses anciens collègues,