Page:Maupassant Bel-ami.djvu/78

Cette page a été validée par deux contributeurs.

plusieurs fois il dit, tout haut : Très bien, très bien ! pour attirer l’attention des voisins et leur inspirer le désir de savoir ce qu’il y avait dans cette feuille. Puis il la laissa sur la table en s’en allant. Le patron s’en aperçut, le rappela :

— Monsieur, monsieur, vous oubliez votre journal !

Et Duroy répondit : — Je vous le laisse, je l’ai lu. Il y a d’ailleurs aujourd’hui, dedans, une chose très intéressante.

Il ne désigna pas la chose, mais il vit, en s’en allant, un de ses voisins prendre la Vie Française sur la table où il l’avait laissée.

Il pensa : « Que vais-je faire, maintenant ? » Et il se décida à aller à son bureau toucher son mois et donner sa démission. Il tressaillait d’avance de plaisir à la pensée de la tête que feraient son chef et ses collègues. L’idée de l’effarement du chef, surtout, le ravissait.

Il marchait lentement pour ne pas arriver avant neuf heures et demie, la caisse n’ouvrant qu’à dix heures.

Son bureau était une grande pièce sombre, où il fallait tenir le gaz allumé presque tout le jour en hiver. Elle donnait sur une cour étroite, en face d’autres bureaux. Ils étaient huit employés là-dedans, plus un sous-chef dans un coin, caché derrière un paravent.

Duroy alla d’abord chercher ses cent dix-huit francs vingt-cinq centimes, enfermés dans une enveloppe jaune et déposés dans le tiroir du commis chargé des paiements, puis il pénétra d’un air vainqueur dans la vaste salle de travail où il avait déjà passé tant de jours.

Dès qu’il fut entré, le sous-chef, M. Potel, l’appela :

— Ah ! c’est vous, monsieur Duroy ? Le chef vous a déjà demandé plusieurs fois. Vous savez qu’il n’admet pas qu’on soit malade deux jours de suite sans attestation du médecin.