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et de fer, ainsi que sur d’immenses terrains achetés pour rien avant la conquête et revendus le lendemain de l’occupation française à des compagnies de colonisation.

Il était devenu, en quelques jours, un des maîtres du monde, un de ces financiers omnipotents, plus forts que des rois, qui font courber les têtes, balbutier les bouches et sortir tout ce qu’il y a de bassesse, de lâcheté et d’envie au fond du cœur humain.

Il n’était plus le juif Walter, patron d’une banque louche, directeur d’un journal suspect, député soupçonné de tripotages véreux. Il était Monsieur Walter, le riche israélite.

Il le voulut montrer.

Sachant la gêne du prince de Carlsbourg qui possédait un des plus beaux hôtels de la rue du Faubourg-Saint-Honoré, avec jardin sur les Champs-Élysées, il lui proposa d’acheter, en vingt-quatre heures, cet immeuble, avec ses meubles, sans changer de place un fauteuil. Il en offrait trois millions. Le prince, tenté par la somme, accepta.

Le lendemain, Walter s’installait dans son nouveau domicile.

Alors il eut une autre idée, une véritable idée de conquérant qui veut prendre Paris, une idée à la Bonaparte.

Toute la ville allait voir en ce moment un grand tableau du peintre hongrois Karl Marcowitch, exposé chez l’expert Jacques Lenoble, et représentant le Christ marchant sur les flots.

Les critiques d’art, enthousiasmés, déclaraient cette toile le plus magnifique chef-d’œuvre du siècle.

Walter l’acheta cinq cent mille francs et l’enleva, coupant ainsi du jour au lendemain le courant établi de la