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cune méfiance. Ils ont roulé même les Rothschild, qui s’étonnaient de voir toujours demander du marocain. On leur a répondu en nommant les intermédiaires, tous tarés, tous à la côte. Ça a tranquillisé la grande banque. Et puis maintenant on va faire l’expédition, et dès que nous serons là-bas, l’État français garantira la dette. Nos amis auront gagné cinquante ou soixante millions. Tu comprends l’affaire ? Tu comprends aussi comme on a peur de tout le monde, peur de la moindre indiscrétion.

Elle avait appuyé sa tête sur le gilet du jeune homme, et les bras posés sur ses jambes, elle se serrait, se collait contre lui, sentant bien qu’elle l’intéressait à présent, prête à tout faire, à tout commettre, pour une caresse, pour un sourire.

Il demanda : — Tu es bien sûre ?

Elle répondit avec confiance : — Oh ! je crois bien !

Il déclara : — C’est très fort, en effet. Quant à ce salop de Laroche, en voilà un que je repincerai. Oh ! le gredin ! qu’il prenne garde à lui !… qu’il prenne garde à lui… Sa carcasse de ministre me restera entre les doigts !

Puis il se mit à réfléchir, et il murmura : — Il faudrait pourtant profiter de ça.

— Tu peux encore acheter de l’emprunt, dit-elle. Il n’est qu’à soixante-douze francs.

Il reprit : — Oui, mais je n’ai pas d’argent disponible.

Elle leva les yeux vers lui, des yeux pleins de supplication. — J’y ai pensé, mon chat, et si tu étais bien gentil, bien gentil, si tu m’aimais un peu, tu me laisserais t’en prêter.

Il répondit brusquement, presque durement : — Quant à ça, non, par exemple.

Elle murmura, d’une voix implorante : — Écoute, il y a une chose que tu peux faire sans emprunter de l’ar-