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rendit compte de rien, il sentit seulement qu’il levait le bras en appuyant de toute sa force sur la gâchette.

Et il n’entendit rien.

Mais il vit aussitôt un peu de fumée au bout du canon de son pistolet ; et comme l’homme en face de lui demeurait toujours debout, dans la même posture également, il aperçut aussi un autre petit nuage blanc qui s’envolait au-dessus de la tête de son adversaire.

Ils avaient tiré tous les deux. C’était fini.

Ses témoins et le médecin le touchaient, le palpaient, déboutonnaient ses vêtements en demandant avec anxiété :

— Vous n’êtes pas blessé ? — Il répondit au hasard. — Non, je ne crois pas.

Langremont d’ailleurs demeurait aussi intact que son ennemi, et Jacques Rival murmura d’un ton mécontent :

— Avec ce sacré pistolet c’est toujours comme ça, on se rate ou on se tue. Quel sale instrument !

Duroy ne bougeait point, paralysé de surprise et de joie : « C’était fini ! » Il fallut lui enlever son arme qu’il tenait toujours serrée dans sa main. Il lui semblait maintenant qu’il se serait battu contre l’univers entier. C’était fini. Quel bonheur ! il se sentait brave tout à coup à provoquer n’importe qui.

Tous les témoins causèrent quelques minutes, prenant rendez-vous dans le jour pour la rédaction du procès-verbal, puis on remonta dans la voiture ; et le cocher, qui riait sur son siège, repartit en faisant claquer son fouet.

Ils déjeunèrent tous les quatre sur le boulevard, en causant de l’événement. Duroy disait ses impressions.

— Ça ne m’a rien fait, absolument rien. Vous avez dû le voir du reste ?

Rival répondit : — Oui, vous vous êtes bien tenu.

Quand le procès-verbal fut rédigé, on le présenta à