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devez être heureuses. Mais pour qu’ils meurent vite, il faut les nommer vieux et malades.

Comme on demeurait un peu surpris, il ajouta : — Je suis comme vous d’ailleurs et j’aime beaucoup lire dans les échos de Paris le décès d’un académicien. Je me demande tout de suite : « Qui va le remplacer ? » Et je fais ma liste. C’est un jeu, un petit jeu très gentil auquel on joue dans tous les salons parisiens à chaque trépas d’immortel : « Le jeu de la mort et des quarante vieillards. »

Ces dames, un peu déconcertées encore, commençaient cependant à sourire, tant était juste sa remarque.

Il conclut, en se levant : — C’est vous qui les nommez, mesdames, et vous ne les nommez que pour les voir mourir. Choisissez-les donc vieux, très vieux, le plus vieux possible, et ne vous occupez jamais du reste.

Puis il s’en alla avec beaucoup de grâce.

Dès qu’il fut parti, une des femmes déclara : — Il est drôle, ce garçon. Qui est-ce ? — Mme Walter répondit : — Un de nos rédacteurs, qui ne fait encore que la menue besogne du journal, mais je ne doute pas qu’il n’arrive vite.

Duroy descendait le boulevard Malesherbes gaîment, à grands pas dansants, content de sa sortie et murmurant : « Bon départ  ».

Il se réconcilia avec Rachel, ce soir-là.

La semaine suivante lui apporta deux événements. Il fut nommé chef des Échos et invité à dîner chez Mme Walter. Il vit tout de suite un lien entre les deux nouvelles.

La Vie Française était avant tout un journal d’argent, le patron étant un homme d’argent à qui la presse et la députation avaient servi de leviers. Se faisant de la bonhomie une arme, il avait toujours manœuvré sous