Page:Maupassant Bel-ami.djvu/144

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il se rassura devant l’air aimable de la jeune femme. Comment aurait-il pu craindre, d’ailleurs ?

Elle reprit : — Vous la gâtez ! Quant à moi, on me vient voir quand on y pense, les trente-six du mois, ou peu s’en faut ?

Il s’était assis près d’elle et il la regardait avec une curiosité nouvelle, une curiosité d’amateur qui bibelote. Elle était charmante, blonde d’un blond tendre et chaud, faite pour les caresses ; et il pensa : « Elle est mieux que l’autre, certainement. » Il ne doutait point du succès, il n’aurait qu’à allonger la main, lui semblait-il, et à la prendre, comme on cueille un fruit.

Il dit résolument : — Je ne venais point vous voir parce que cela valait mieux.

Elle demanda, sans comprendre : — Comment ? Pourquoi ?

— Pourquoi ? Vous ne devinez pas ?

— Non, pas du tout.

— Parce que je suis amoureux de vous… oh ! un peu, rien qu’un peu… et que je ne veux pas le devenir tout à fait…

Elle ne parut ni étonnée, ni choquée, ni flattée ; elle continuait à sourire du même sourire indifférent, et elle répondit avec tranquillité :

— Oh ! vous pouvez venir tout de même. On n’est jamais amoureux de moi longtemps.

Il fut surpris du ton plus encore que des paroles, et il demanda : — Pourquoi ?

— Parce que c’est inutile et que je le fais comprendre tout de suite. Si vous m’aviez raconté plus tôt votre crainte je vous aurais rassuré et engagé au contraire à venir le plus possible.

Il s’écria, d’un ton pathétique : — Avec ça qu’on peut commander aux sentiments !