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pée la dégagea violemment et l’entraîna dans la rue.

Elle s’élança dans un fiacre vide arrêté devant l’établissement. Il y sauta derrière elle, et comme le cocher demandait : — Où faut-il aller, bourgeois ? — il répondit. — Où vous voudrez.

La voiture se mit en route lentement, secouée par les pavés. Clotilde en proie à une sorte de crise nerveuse, les mains sur sa face, étouffait, suffoquait ; et Duroy ne savait que faire ni que dire. — À la fin, comme il l’entendait pleurer, il bégaya. : — Écoute, Clo, ma petite Clo, laisse-moi t’expliquer ! Ce n’est pas ma faute… J’ai connu cette femme-là autrefois… dans les premiers temps…

Elle dégagea brusquement son visage, et saisie par une rage de femme amoureuse et trahie, une rage furieuse qui lui rendit la parole, elle balbutia, par phrases rapides, hachées, en haletant : — Ah !… misérable… misérable… quel gueux tu fais !… Est-ce possible ?… quelle honte !… Oh ! mon Dieu !… quelle honte !…

Puis, s’emportant de plus en plus, à mesure que les idées s’éclaircissaient en elle et que les arguments lui venaient : — C’est avec mon argent que tu la payais, n’est-ce pas ? Et je lui donnais de l’argent… pour cette fille… Oh ! le misérable !…

Elle sembla chercher, pendant quelques secondes, un autre mot plus fort qui ne venait point, puis soudain, elle expectora, avec le mouvement qu’on fait pour cracher :   « Oh !… cochon… cochon… cochon… Tu la payais avec mon argent… cochon… cochon !… »

Elle ne trouvait plus autre chose et répétait : — Cochon… cochon…

Tout à coup, elle se pencha dehors, et, saisissant le cocher par sa manche : — Arrêtez ! — puis, ouvrant la portière, elle sauta dans la rue.