Page:Maupassant Bel-ami.djvu/110

Cette page a été validée par deux contributeurs.

emporterait ses chances ; mais l’audace lui manquait, l’audace de l’action brusque et brutale.

Tout à coup il sentit remuer son pied. Elle avait fait un mouvement, un mouvement sec, nerveux, d’impatience ou d’appel peut-être. Ce geste, presque insensible, lui fit courir, de la tête aux pieds, un grand frisson sur la peau, et, se tournant vivement, il se jeta sur elle, cherchant la bouche avec ses lèvres et la chair nue avec ses mains.

Elle jeta un cri, un petit cri, voulut se dresser, se débattre, le repousser ; puis elle céda, comme si la force lui eût manqué pour résister plus longtemps.

Mais la voiture s’étant arrêtée bientôt devant la maison qu’elle habitait, Duroy, surpris, n’eut point à chercher des paroles passionnées pour la remercier, la bénir et lui exprimer son amour reconnaissant. Cependant elle ne se levait pas, elle ne remuait point, étourdie par ce qui venait de se passer. Alors il craignit que le cocher n’eût des doutes, et il descendit le premier pour tendre la main à la jeune femme.

Elle sortit enfin du fiacre en trébuchant et sans prononcer une parole. Il sonna, et, comme la porte s’ouvrait, il demanda, en tremblant : — Quand vous reverrai-je ?

Elle murmura si bas qu’il entendit à peine : — Venez déjeuner avec moi demain. — Et elle disparut dans l’ombre du vestibule en repoussant le lourd battant, qui fit un bruit de coup de canon.

Il donna cent sous au cocher et se mit à marcher devant lui, d’un pas rapide et triomphant, le cœur débordant de joie.

Il en tenait une, enfin, une femme mariée ! une femme du monde ! du vrai monde ! du monde parisien ! Comme ça avait été facile et inattendu !