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détraquée, en 1866 et en 1874, sans qu’il eût jamais su pourquoi. Il s’habillait, faisait son lit, balayait sa chambre, époussetait son fauteuil et le dessus de sa commode. Toutes ces besognes lui demandaient une heure et demie.

Puis il sortait, achetait un croissant à la boulangerie Lahure, dont il avait connu onze patrons différents sans qu’elle perdît son nom, et il se mettait en route en mangeant ce petit pain.

Son existence tout entière s’était donc accomplie dans l’étroit bureau sombre tapissé du même papier. Il y était entré jeune, comme aide de M. Brument et avec le désir de le remplacer.

Il l’avait remplacé et n’attendait plus rien.

Toute cette moisson de souvenirs que font les autres hommes dans le courant de leur vie, les événements imprévus, les amours douces ou tragiques, les voyages aventureux, tous les hasards d’une existence libre lui étaient demeurés étrangers.

Les jours, les semaines, les mois, les saisons, les années s’étaient ressemblés. À la même heure, chaque jour, il se levait, partait, arrivait au bureau, déjeunait, s’en allait, dînait et se couchait, sans que rien eût jamais interrompu la régulière