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YVETTE.

Elle garda le lendemain et le jour suivant une attitude réservée et mélancolique. Un travail incessant et rapide se faisait en elle, un travail de réflexion ; elle apprenait à épier, à deviner, à raisonner. Une lueur, vague encore, lui semblait éclairer d’une nouvelle manière les hommes et les choses autour d’elle ; et une suspicion lui venait contre tous, contre tout ce qu’elle avait cru, contre sa mère. Toutes les suppositions, elle les fit en ces deux jours. Elle envisagea toutes les possibilités, se jetant dans les résolutions les plus extrêmes avec la brusquerie de sa nature changeante et sans mesure. Le mercredi, elle arrêta un plan, toute une règle de tenue et un système d’espionnage. Elle se leva le jeudi matin avec la résolution d’être plus rouée qu’un policier, et armée en guerre contre tout le monde.

Elle se résolut même à prendre pour devise ces deux mots : « Moi seule », et elle chercha pendant plus d’une heure de quelle manière il les fallait disposer pour qu’ils fissent bon effet, gravés autour de son chiffre, sur son papier à lettres.

Saval et Servigny arrivèrent à dix heures.

La jeune fille tendit sa main avec réserve,