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MISTI.

i’air, sa voilette noire pliée en deux ; et elle se mettait à boire avec la joie qu’on a en accomplissant une adorable scélératesse. Chaque cerise avalée lui donnait la sensation d’une faute commise, chaque gorgée du rude liquide descendait en elle comme une jouissance délicate et défendue.

Puis elle me disait à mi-voix : « Allons-nous-en. » Et nous partions. Elle filait vivement, la tête basse, d’un pas menu, entre les buveurs qui la regardaient passer d’un air mécontent ; et quand nous nous retrouvions dans la rue, elle poussait un grand soupir comme si nous venions d’échapper à un terrible danger.

Quelquefois elle me demandait en frissonnant : « Si on m’injuriait dans ces endroits-là, qu’est-ce que tu ferais ? » Je répondais d’un ton crâne : « Mais je te défendrais, parbleu ! » Et elle me serrait le bras avec bonheur, avec le désir confus, peut-être, d’être injuriée et défendue, de voir des hommes se battre pour elle, même ces hommes-là, avec moi !


Un soir, comme nous étions attablés dans un assommoir de Montmartre, nous vîmes entrer une vieille femme en guenilles, qui