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MISTI.

énorme chat noir, nommé « Misti », qu’elle adorait. Nos doigts se rencontraient sur le dos nerveux de la bête, et se caressaient dans son poil de soie. Je sentais contre ma joue le flanc chaud qui frémissait d’un éternel « ron-ron », et parfois une patte allongée posait sur ma bouche ou sur ma paupière cinq griffes ouvertes, dont les pointes me piquaient les yeux et qui se refermaient aussitôt.

Tantôt nous sortions pour faire ce qu’elle appelait nos escapades. Elles étaient bien innocentes, d’ailleurs. Cela consistait à aller souper dans une auberge de banlieue, ou bien, après avoir dîné chez elle ou chez moi, à courir les cafés borgnes, comme des étudiants en goguette.

Nous entrions dans les caboulots populaires et nous allions nous asseoir, dans le fond du bouge enfumé, sur des chaises boiteuses, devant une vieille table de bois. Un nuage de fumée acre, où restait une odeur de poisson frit du dîner, emplissait la salle ; des hommes en blouse gueulaient en buvant des petits verres ; et le garçon étonné posait devant nous deux cerises à l’eau-de-vie.

Elle, tremblante, apeurée à ravir, soulevait jusqu’au bout de son nez, qui la retenait en