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PROMEiNADE. 209

L'amour ! il ne le connaissait guère. H n'avait eu dans sa vie que deux ou trois fem- mes, par hasard, par surprise, ses moyens ne lui permettant aucun extra. Et il songeait à cette vie qu'il avait menée, si différente de la vie de tous, à cette vie si sombre, si morne, si plate, si vide.

II y a des êtres qui n'ont vraiment pas de chance. Et tout d'un coup, comme si un voile épais se fût déchiré, il aperçut la misère, l'infinie, la monotone misère de son existence : la misère passée, la misère présente, la mi- sère future : les derniers jours pareils aux premiers, sans rien devant lui, rien derrière lui, rien autour de lui, rien dans le cœur, rien nulle part.

Le défilé des voitures allait toujours. Tou- jours il voyait paraître et disparaître, dans le rapide passage du fiacre découvert, les deux êtres silencieux et enlacés. Il lui semblait que l'humanité tout entière défilait devant lui, grise de joie, de plaisir, de bonheur. Et il était seul à la regarder, seul, tout à fait seul. II serait encore seul demain, seul toujours, seul comme personne n'est seul.

Il se leva, fit quelques pas, et brusque- ment fatigué, comme s'il venait d'accomplir

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