Page:Maupassant - Yvette, OC, Conard, 1910.djvu/203

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suivit, pêle-mêle, en bloc, au hasard des fatigues et de la longueur des pas. Je plaçai les plus solides par derrière, avec ordre d’accélérer les traînards à coups de baïonnette… dans le dos.

La neige semblait nous ensevelir tout vivants ; elle poudrait les képis et les capotes sans fondre dessus, faisait de nous des fantômes, des espèces de spectres de soldats morts, bien fatigués.

Je me disais : « Jamais nous ne sortirons de là, à moins d’un miracle. »

Parfois on s’arrêtait quelques minutes, à cause de ceux qui ne pouvaient pas suivre. Alors on n’entendait plus que ce glissement vague de la neige, cette rumeur presque insaisissable que font le froissement et l’emmêlement de tous ces flocons qui tombent.

Quelques hommes se secouaient, d’autres ne bougeaient point.

Puis je donnais l’ordre de repartir. Les fusils remontaient sur les épaules, et, d’une allure exténuée, on se remettait en marche.

Soudain les éclaireurs se replièrent. Quelque chose les inquiétait. Ils avaient entendu parler devant nous. J’envoyai six hommes et un sergent. Et j’attendis.