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veille de Sedan, quand le maréchal de MacMahon fut blessé, nous aurions traversé les lignes prussiennes, sacrebleu ! et bu la goutte dans leurs canons.

Ce n’est pas un Trochu qu’il fallait à Paris, mais une sainte Geneviève.

Je me rappelle justement une petite anecdote de la guerre qui prouve bien que nous sommes capables de tout, devant une femme.

J’étais alors capitaine, simple capitaine, et je commandais un détachement d'éclaireurs qui battait en retraite au milieu d’un pays envahi par les Prussiens. Nous étions cernés, pourchassés, éreintés, abrutis, mourant d’épuisement et de faim.

Or il nous fallait, avant le lendemain, gagner Bar-sur-Tain, sans quoi nous étions flambés, coupés et massacrés. Comment avions-nous échappé jusque-là ? je n’en sais rien. Nous avions donc douze lieues à faire pendant la nuit, douze lieues par la neige et sous la neige, le ventre vide. Moi je pensais : « C’est fini, jamais mes pauvres diables d’hommes n'arriveront. »

Depuis la veille, on n’avait rien mangé. Tout le jour, nous restâmes cachés dans une grange, serrés les uns contre les autres pour