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L'ABANDONNE. 175

— Est-ce possible? avoir un fils et ne le point connaître. Avoir peur de lui, l'avoir rejeté comme une honte. — C'était hor- rible.

Ils allaient sur la longue route, accablés par la flamme du soleil, montant toujours l'inter- minable côte.

Elle reprit :

— Ne dirait-on pas un châtiment? Je n'ai jamais eu d'autre enfant. Non, je ne pouvais plus résister à ce désir de le voir, qui me hante depuis quarante ans. Vous ne compre- nez pas cela, vous, les hommes. Songez que je suis tout près de la mort. Et je ne l'aurai pas revu!... pas revu, est-ce possible? Comment ai-je pu attendre si longtemps? J'ai pensé à lui toute ma vie. Quelle affreuse existence cela m'a fait. Je ne me suis pas réveillée une fois, pas une fois, entendez-vous, sans que ma pre- mière pensée n'ait été pour lui, pour mon enfant. Comment est-il? Oh! comme je me sens coupable vis-à-vis de lui ! Doit-on craindre le monde en ce cas-là? J'aurais dû tout quitter et le suivre, l'élever, l'aimer. J'aurais été plus heureuse, certes. Je n'ai pas osé. J'ai été lâche. Comme j'ai souffert! Oh! ces pauvres êtres