Page:Maupassant - Une surprise (extrait de Gil Blas, édition du 1883-05-15).djvu/6

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sur la seule tombe de pierre, celle du précédent curé dont la famille, riche, l’avait fait enterrer somptueusement.

L’abbé Loisel, pour exercer notre mémoire, nous faisait apprendre par cœur les noms des morts peints sur les croix de bois noir ; et, afin d’exercer en même temps notre discernement, il nous faisait commencer cette étrange récitation tantôt par un bout du champ funèbre, tantôt par l’autre bout, tantôt par le milieu, indiquant soudain une sépulture déterminée : « Voyons, celle du troisième rang, dont la croix penche à gauche. » Quand se présentait un enterrement, nous avions hâte de connaître ce qu’on peindrait sur le symbole de bois, et nous allions même souvent chez le menuisier pour lire l’épitaphe, avant qu’elle fût placée sur la tombe. Mon oncle demandait : « Savez-vous la nouvelle ? » Nous répondions tous deux ensemble : « Oui, mon oncle », et nous nous mettions aussitôt à bredouiller : « Ici, repose Joséphine, Rosalie, Gertrude Malaudin, veuve de Théodore Magloire Césaire, décédée à l’âge de soixante-deux ans, regrettée de sa famille, bonne fille, bonne épouse et bonne