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histoire du vieux temps.


Tout au fond de mon cœur, un très vieux souvenir ;
Et je suis prêt à vous le raconter, marquise.
Mais j’exige de vous une égale franchise,
Caprice pour caprice, et récit pour récit ;
Et vous commencerez.

la marquise.

Et vous commencerez. Je le veux bien ainsi.
Pourtant mon histoire est un simple enfantillage.
Mais, je ne sais pourquoi, les choses du jeune âge
Prennent, comme le vin, leur force en vieillissant,
Et d’année en année elles vont grandissant.
Vous connaissez beaucoup de ces historiettes :
C’est le premier roman de toutes les fillettes,
Et chaque femme, au moins, en compte deux ou trois ;
Je n’en eus qu’une seule ; et c’est pourquoi, je crois,
Je l’ai gardée au cœur plus vive et plus tenace ;
Et dans ma vie elle a rempli beaucoup de place.
J’étais bien jeune alors, car j’avais dix-huit ans ;
J’avais appris à lire avec les vieux romans ;
J’avais souvent rêvé dans les vieilles allées
Du vieux parc, regardant, le soir, sous les sautées,
Les reflets de la lune, écoutant si le vent
Ne parlait pas d’amour à la branche, et rêvant
À celui que tout bas la jeune fille appelle,
Qu’elle attend, qu’elle croit que Dieu créa pour elle !
Puis voilà que celui que j’avais tant rêvé,
Jeune, fier et charmant, un jour, est arrivé ;
Et je sentis bondir mon cœur de jeune fille.
Je me pris à l’aimer ; il me trouva gentille…
Mon beau jeune homme, hélas ! partit le lendemain ;
Rien de plus : un baiser, un serrement de main,