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Madame de Sallus.

Vous êtes nerveux, aujourd’hui.

Jacques de Randol.

Non, mais je suis affamé de solitude avec vous. Vous êtes à moi, n’est-ce pas, ou plutôt je suis à vous ; eh bien ! est-ce que ça en a l’air, en vérité ? Je passe ma vie à chercher les moyens de vous rencontrer. Oui, notre amour est fait de rencontres, de saluts, de regards, de frôlements, et pas d’autre chose. Nous nous rencontrons, le matin, dans l’avenue, un salut ; nous nous rencontrons chez vous ou chez une femme quelconque, vingt paroles ; nous nous rencontrons au théâtre, dix paroles ; nous dînons quelquefois à la même table, trop loin pour nous parler, et alors je n’ose même pas vous regarder, à cause des autres yeux. C’est cela s’aimer ! Est-ce que nous nous connaissons seulement ?

Madame de Sallus.

Alors, vous voudriez peut-être m’enlever ?

Jacques de Randol.

C’est impossible, malheureusement.

Madame de Sallus.

Alors, quoi ?

Jacques de Randol.

Je ne sais pas. Je dis seulement que cette vie est très énervante.