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SUR L’EAU

monde, qu’on ne doit plus jamais arriver nulle part, qu’il n’y aura plus de rivage, qu’il n’y aura pas de jour. À mes pieds une petite lanterne éclaire le compas qui m’indique la route. Il faut courir au moins trois milles au large pour doubler sûrement le cap Roux et le Drammont, quel que soit le vent qui donnera, lorsque le soleil sera levé. J’ai fait allumer les fanaux de position, rouge bâbord et vert tribord, pour éviter tout accident, et je jouis avec ivresse de cette fuite muette, continue et tranquille.

Tout à coup un cri s’élève devant nous. Je tressaille, car la voix est proche ; et je n’aperçois rien, rien que cette obscure muraille de ténèbres où je m’enfonce et qui se referme derrière moi. Raymond qui veille à l’avant me dit : « C’est une tartane qui va dans l’est ; arrivez un peu, monsieur, nous passons derrière ».

Et soudain, tout près, se dresse un fantôme effrayant et vague, la grande ombre flottante d’une haute voile aperçue quel-