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SUR L’EAU

leux, je les lirais jour et nuit. Mais ils ne peuvent, ces impuissants, que changer la place d’un mot, et me montrer mon image, comme les peintres. À quoi bon ?

Car la pensée de l’homme est immobile.

Les limites précises, proches, infranchissables, une fois atteintes, elle tourne comme un cheval dans un cirque, comme une mouche dans une bouteille fermée, voletant jusqu’aux parois où elle se heurte toujours.

Et pourtant, à défaut de mieux, il est doux de penser, quand on vit seul.

Sur ce petit bateau que ballotte la mer, qu’une vague peut emplir et retourner, je sais et je sens combien rien n’existe, de ce que nous connaissons, car la terre qui flotte dans le vide est encore plus isolée, plus perdue que cette barque sur les flots. Leur importance est la même, leur destinée s’accomplira. Et je me réjouis de comprendre le néant des croyances et la vanité des espérances qu’engendra notre orgueil d’insectes !