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SUR L’EAU

comme un semeur d’épouvante et de délire, car il eut aussitôt la puissance d’éveiller l’affreuse détresse sommeillant toujours au fond du cœur de tous les vivants. Qu’était-ce ? C’était la voix qui crie sans fin dans notre âme et qui nous reproche d’une façon continue, obscurément et douloureusement, torturante, harcelante, inconnue, inapaisable, inoubliable, féroce, qui nous reproche tout ce que nous avons fait et en même temps tout ce que nous n’avons pas fait, la voix des vagues remords, des regrets sans retours, des jours finis, des femmes rencontrées qui nous auraient aimé peut-être, des choses disparues, des joies vaines, des espérances mortes ; la voix de ce qui passe, de ce qui fuit, de ce qui trompe, de ce qui disparaît, de ce que nous n’avons pas atteint, de ce que nous n’atteindrons jamais, la maigre petite voix qui crie l’avortement de la vie, l’inutilité de l’effort, l’impuissance de l’esprit et la faiblesse de la chair.