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SUR L’EAU

Soudain quelque chose grinça. Quoi ? je ne sais, une poulie dans la mâture, sans doute ; mais le ton si doux, si douloureux, si plaintif de ce bruit fit tressaillir toute ma chair ; puis rien, un silence infini allant de la terre aux étoiles ; rien, pas un souffle, pas un frisson de l’eau ni une vibration du yacht, rien ; puis tout à coup l’inconnaissable et si grêle gémissement recommença. Il me sembla, en l’entendant, qu’une lame ébréchée sciait mon cœur. Comme certains bruits, certaines notes, certaines voix nous déchirent, nous jettent en une seconde dans l’âme tout ce qu’elle peut contenir de douleur, d’affolement et d’angoisse. J’écoutais, attendant, et je l’entendis encore, ce bruit qui semblait sorti de moi-même, arraché à mes nerfs, ou plutôt qui résonnait en moi comme un appel intime, profond et désolé ! Oui, c’était une voix cruelle, une voix connue, attendue, et qui me désespérait. Il passait sur moi ce son faible et bizarre,