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viennent pas à Cannes. À peine la bourgeoisie y a-t-elle quelques timides représentants.

C’est seulement avant midi qu’on rencontre sur la Croisette tous les nobles étrangers.

La Croisette est une longue promenade en demi-cercle qui suit la mer depuis la pointe, en face Sainte-Marguerite, jusqu’au port que domine la vieille ville.

Les femmes jeunes et sveltes, — il est de bon goût d’être maigre, — vêtues à l’anglaise, vont d’un pas rapide, escortées par de jeunes hommes alertes en tenue de lawn-tennis. Mais de temps en temps, on rencontre un pauvre être décharné qui se traîne d’un pas accablé, appuyé au bras d’une mère, d’un frère ou d’une sœur. Ils toussent et halètent, ces misérables, enveloppés de châles, malgré la chaleur, et nous regardent passer avec des yeux profonds, désespérés et méchants.

Ils souffrent, ils meurent, car ce pays ravissant et tiède, c’est aussi l’hôpital du monde et le cimetière fleuri de l’Europe aristocrate.

L’affreux mal qui ne pardonne guère et qu’on