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dans une forêt sanglante de l’enfer où les hommes avaient des racines, où les corps déformés par les supplices ressemblaient à des arbres, où la vie coulait sans cesse, dans une souffrance sans fin, par ces plaies saignantes et qui mettaient en moi cette crispation et cette défaillance que produisent sur les nerveux la vue brusque du sang, la rencontre imprévue d’un homme écrasé ou tombé d’un toit. Et cette émotion fut si vive, et cette sensation fut si forte que je crus entendre des plaintes, des cris déchirants, lointains, innombrables, et qu’ayant touché, pour raffermir mon cœur, un de ces arbres, je crus voir, je vis, en la retournant vers moi, ma main toute rouge.

Aujourd’hui ils sont guéris — jusqu’au prochain écorchement.

Mais j’aperçois enfin la route qui passe auprès de la ferme où s’abrita le long bonheur du sous-officier de hussards et la fille du colonel.

De loin, je reconnais l’homme qui se promène dans ses vignes. Tant mieux : la femme sera seule à la maison.