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SOUVENIRS D’UN AN




UN APRÈS-MIDI CHEZ GUSTAVE FLAUBERT


C’est en 1879, au mois de juillet, un dimanche, vers une heure de l’après-midi, dans un appartement au cinquième étage, rue du Faubourg-Saint-Honoré.

Sur la cheminée, un Bouddha doré, dans son immobilité divine et séculaire, regarde avec ses yeux longs. Rien sur les murs, sauf une très belle photographie d’une Vierge de Raphaël et un buste de femme en marbre blanc. À travers les rideaux de toile à ramages et à fleurs, le dur soleil d’un jour d’été envoie sur le tapis rouge une lumière tamisée et lourde.

Un homme écrit sur une table ronde.

Dans un fauteuil de chêne à haut dossier, il est assis, enfoncé, la tête rentrée entre ses fortes épaules ; et une petite calotte en soie noire, pareille à celles des ecclésiastiques, couvrant le sommet du crâne, laisse échapper de longues mèches de cheveux gris, bouclés par le bout et répandus sur le dos. Une vaste robe de chambre en drap brun semble l’envelopper tout entier, et sa figure, que coupe une forte moustache blanche aux bouts tombants, est penchée sur le papier. Il le fixe, le parcourt sans cesse de sa pupille aiguë, toute petite, qui pique d’un point noir toujours mobile deux grands yeux bleus ombragés de cils longs