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SOUVENIR


… Depuis la veille, on n’avait rien mangé. Tout le jour, nous restâmes cachés dans une grange, serrés les uns contre les autres pour avoir moins froid, les officiers mêlés aux soldats, et tous abrutis de fatigue.

Quelques sentinelles, couchées dans la neige, surveillaient les environs de la ferme abandonnée qui nous servait de refuge pour nous garder de toute surprise. On les changeait d’heure en heure, afin de ne les point laisser s’engourdir.

Ceux de nous qui pouvaient dormir dormaient ; les autres restaient immobiles, assis par terre, disant à leur voisin quelques mots de temps en temps.

Depuis trois mois, comme une mer débordée, l’invasion entrait partout. C’étaient de grands flots d’hommes qui arrivaient les uns après les autres, jetant autour d’eux une écume de maraudeurs.

Quant à nous, réduits à deux cents francs tireurs, de huit cents que nous étions un mois auparavant, nous battions en retraite, entourés d’ennemis, cernés, perdus. Il nous fallait, avant le lendemain, gagner Blainville, où nous espérions encore trouver le général C… Si nous ne