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temps, un petit bruit sec et métallique claquait.

Brusquement la forme errante se rapprocha, et l’on vit venir au grand trot, l’un derrière l’autre, douze uhlans perdus dans la nuit.

Ils étaient si près maintenant qu’on entendait le souffle des chevaux, et le son de ferraille des armes, et le craquement du cuir des selles.

Alors, la voix forte du capitaine hurla : « Feu, nom de Dieu ! »

Et cinquante coups de fusil crevèrent le silence glacé des champs ; quatre ou cinq détonations attardées partirent encore, puis une autre toute seule, la dernière ; et quand l’aveuglement de la poudre enflammée fut dissipé, on vit que les douze hommes, avec neuf chevaux, étaient tombés. Trois bêtes s’enfuyaient d’un galop forcené, et l’une traînait derrière elle, pendu par le pied à l’étrier, et bondissant, le cadavre de son cavalier.

Le capitaine joyeux cria : « Douze de moins, nom de Dieu ! » Un soldat, dans le tas, répondit : « V’là des veuves ! » Un autre ajouta : « Faut pas grand temps tout d’même pour faire le saut. »

Alors, du fond de la litière, sous l’entassement des capotes, une petite voix endormie sortit : « Qu’est-ce qu’il y a, père ? pourquoi tire-t-on des coups de fusil ? » Le vieillard répondit : « Ce n’est rien ; dors, petite ! » On repartit.

On marcha encore près de quatre heu-