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commença pour montrer leur vigueur. Ils étaient venus à la voile tout doucement, mais la brise était tombée et l’orgueil de mâles des deux frères s’éveilla tout à coup à la perspective de se mesurer l’un contre l’autre.

Quand ils allaient pêcher seuls avec le père, ils ramaient ainsi sans que personne gouvernât, car Roland préparait les lignes tout en surveillant la marche de l’embarcation, qu’il dirigeait d’un geste ou d’un mot : « Jean, mollis. » — « À toi, Pierre, souque. » Ou bien il disait : « Allons le un, allons le deux, un peu d’huile de bras. » Celui qui rêvassait tirait plus fort, celui qui s’emballait devenait moins ardent, et le bateau se redressait.

Aujourd’hui ils allaient montrer leurs biceps. Les bras de Pierre étaient velus, un peu maigres, mais nerveux ; ceux de Jean gras et blancs, un peu roses, avec une bosse de muscles qui roulait sous la peau.

Pierre eut d’abord l’avantage. Les dents serrées, le front plissé, les jambes tendues, les mains crispées sur l’aviron, il le faisait plier