Page:Maupassant - Pierre et Jean, Ollendorff, 1888.djvu/309

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tant avec une femme maigre et des enfants exténués pour une terre inconnue, où ils espéraient ne point mourir de faim, peut-être.

Et songeant au travail passé, au travail perdu, aux efforts stériles, à la lutte acharnée, reprise chaque jour en vain, à l’énergie dépensée par ces gueux, qui allaient recommencer encore, sans savoir où, cette existence d’abominable misère, le docteur eut envie de leur crier : « Mais foutez-vous donc à l’eau avec vos femelles et vos petits ! » Et son cœur fut tellement étreint par la pitié qu’il s’en alla, ne pouvant supporter leur vue.

Son père, sa mère, son frère et Mme  Rosémilly l’attendaient déjà dans sa cabine.

— Si tôt, dit-il.

— Oui, répondit Mme  Roland d’une voix tremblante, nous voulions avoir le temps de te voir un peu.

Il la regarda. Elle était en noir, comme si elle eût porté un deuil, et il s’aperçut brusquement que ses cheveux, encore gris le mois dernier, devenaient tout blancs à présent.