par longues gorgées, comme un coureur essoufflé. Quand il eut cessé de remuer, le silence de cette demeure l’émut ; puis, un à un, il en distingua les moindres bruits. Ce fut d’abord l’horloge de la salle à manger dont le battement lui paraissait grandir de seconde en seconde. Puis il entendit de nouveau un ronflement, un ronflement de vieux, court, pénible et dur, celui de son père sans aucun doute ; et il fut crispé par cette idée, comme si elle venait seulement de jaillir en lui, que ces deux hommes qui ronflaient dans ce même logis, le père et le fils, n’étaient rien l’un à l’autre ! Aucun lien, même le plus léger, ne les unissait, et ils ne le savaient pas ! Ils se parlaient avec tendresse, ils s’embrassaient, se réjouissaient et s’attendrissaient ensemble des mêmes choses, comme si le même sang eût coulé dans leurs veines. Et deux personnes nées aux deux extrémités du monde ne pouvaient pas être plus étrangères l’une à l’autre que ce père et que ce fils. Ils croyaient s’aimer parce qu’un mensonge avait grandi entre eux. C’était un
Page:Maupassant - Pierre et Jean, Ollendorff, 1888.djvu/171
Cette page a été validée par deux contributeurs.