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l’ouvrière cueillie au seuil de son magasin, jusqu’à l’actrice enlevée, oui enlevée, le soir d’une première représentation, comme elle posait le pied dans son coupé pour rentrer chez elle, et emportée par lui, dans ses bras, au milieu des passants stupéfaits, et jetée dans une voiture qui disparaissait au galop sans qu’on pût la suivre ou la rattraper.

Et Gontran conclut : « Voilà. C’est un bon garçon, mais un fou ; très riche d’ailleurs, et capable de tout, de tout, de tout quand il perd la tête. »

Christiane reprit :

— Quel singulier parfum il a, ça sent très bon. Qu’est-ce que c’est ?

Gontran répondit :

— Je n’en sais rien, il ne veut pas le dire ; je crois que ça vient de Russie. C’est l’actrice, son actrice, celle dont je le guéris en ce moment, qui lui a donné cela. Oui, ça sent très bon, en effet.

On apercevait sur la route un attroupement de baigneurs et de paysans, car on avait coutume chaque matin, avant le déjeuner, de faire un tour sur ce chemin.

Christiane et Gontran rejoignirent le marquis, Andermatt et Paul, et ils virent bientôt, à la place où la veille encore s’élevait le morne, une tête humaine, bizarre, coiffée d’une loque de feutre gris, couverte d’une grande barbe blanche, et qui sortait de terre, une sorte de tête de décapité qu’on aurait cru poussée là, comme une plante. Autour d’elle, des vignerons stupéfaits regardaient, impassibles, les Auvergnats n’étant point moqueurs, tandis que trois gros messieurs, clients des hôtels de second ordre, riaient et plaisantaient.